Mor noire
Le ciel a dressé son chapiteau d’oiseaux
Sur l’île blanche de Rouzic
Roulant dans le champ joyeux du vent
Ses vagues hystériques
Sur les rochers
Au milieu des chamailles des volatiles
Et des flonflons d'ailes froissées.
Evadé de Bréhat
Pour une musardise
Un macareux comme au cirque
Le bec en clown
A mis pour la grande marée
Son frac et gilet blanc
Frais repassés.
Boitillant dans ses vernis palmés,
Sur son roc en granite,
Bec au Noroît, l’œil rond
Il hume le vent iodé.
Tel Charlot maladroit
Amant d'une marquise,
D'un plongeon de pieds droits
Il s'en va moissonner
Aux champs de liberté,
Les embruns irisés
Au parfum de banquise,
Pendant qu'à l'horizon de la mer grise,
Au large du Talbert
Dessinant le sillon aux oiseaux,
Se trace l'Amoco...
Au bleu du ciel,
Fous de Bassan et goélands
Se frisent dans la lumière de sel
Qui ruisselle... sur l'océan
Comme une vocalise...
Lissant ses vagues en dentelle,
Sur lesquelles s'aiguise
Le dard de l'Amoco-Cadiz...
Les orgues de la Manche
Résonnent en avalanches
Des plaintes déchirées
De l'océan violé.
Les vents frondent
Ce dimanche
Et la Manche...
A l’assaut fantassine
Les flancs
Du géniteur d'usines.
Les récifs se hérissent
Sous ses déferlantes blanches...
Là où des ailes barbarisent
Autour de la bête qui flanche.
La vengeance s'accomplit
De rocs en roches... De roches en rocs...
Et sirène l'hallali .
Par une flèche en pic...
Le trident de Poséidon
Dans sa panse s'est planté...
Et le ressac saigne
Le sang du pétrolier...
A l'aberwrac'h, échoué,
Son ventre engrossé des œuvres de l'Hadès,
Ouvert aux mains fouilleuses des matrones,
Par sa puante plaie, avorte et dégueule
Son noir placenta en nauséeux linceul,
Recouvrant l'anémone,
La châsse des étoiles aux jardins exotiques
Et de vagues en plages
Aux rivages sauvages
Les champs d'or de Saba
Des monstres aquatiques...
La peste océane pêche... hélas !
Son filet amplement déployé
Brasse dans une fin poisseuse
La seiche... Le clovisse...
L'algue et le goéland...
Brisant ... en ses mailles l'élan
Des galops des eaux
Qui s'enlisent... dans le sang
De l ’Amoco-Cadiz...
Comme un bouchon,
Le macareux de charbon glisse...
Sur sa vague visqueuse,
Au clair de mer qui s'éclipse...
Se demandant pourquoi, ses ailes tout à coup,
Pèsent un tel poids ?
Alors... il se laisse échouer
Sur le sable où hennissent...
Les chevaux enlisés de l'Apocalypse.
Ses plumes engluées
Dans un caillot d'effroi,
L'oiseau tremble de peur et de froid,
Pendant que l' Amoco-Cadiz
A deux milles agonise...
Le volatile en cette heure pressent-il
Une mer d'Attila, que déjà
De la mort indélivrable proie
Fuyant la main de l'homme,
Il rentre dans le miroir fantôme
Pour la dernière fois.
Alors que le glas de Portsall sonne...
Les filets sur le quai et les chaluts en vrac,
L'homme de l'Aberwrac'h,
A genoux sur la grève
Invoquant sa Madone,
Les yeux impuissants et brouillés
Témoin à jamais prisonnier
De l'océan qui crève,
Sait, que demain n’aura jamais
Tant ramassé la mort en autant de paniers...