Les jonquilles du boucher
"Les jonquilles du boucher" n'est pas un poème mais une nouvelle écrite à la mémoire des poilus de 14-18,
extraite de mon roman "Les soleils du sphinx"
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En ce début avril 1916, il avait neigé les jours précédents. Une vingtaine de fantassins tenait une casemate
à l’entrée d’une « creute », une sorte de grotte qui servait d’entrepôt de munitions sur la ligne de crêtes
du Chemin des Dames. A quelques centaines de mètres de là, les rescapés de leur bataillon se terraient à
l’intérieur d’un fort qui vu de l’extérieur avait l’apparence d’un sous-marin bloqué au milieu d’une tempête
figée dans des vagues d’écume blanche et terreuse creusées par les trous d’obus et les vestiges des tranchées
sur lesquelles flottaient encore les cadavres des soldats du dernier assaut.
L’attaque avait eu lieu deux jours avant sur le coup de midi à l’heure de la soupe, précédée d’un tir d’obus
de gaz toxique. Les hordes de soldats allemands tels des robots avaient déboulées sur eux. Leurs masques
blancs à gaz sur les visages leur donnaient l’apparence de têtes de morts aux yeux énucléés. Dans un déluge
de fer et de feu ils avaient obligé les Français à reculer.
Les positions furent reprises au matin par le bataillon après une nuit d’épouvante illuminée par les fusées
jaillies comme des comètes au dessus des fumées des explosions. Les tranchées en avaient été bouleversées.
Les quelques troncs d’arbres encore debout noircis et déchiquetés par la mitraille pendaient comme des squelettes
de marionnettes. Au-delà des barbelés, betteraves éclatées, abandonnées aux bords des sillons après le passage
de l’arrachoir, mêlés à la terre, les morts étaient restés éparpillés sur le sol labouré du champ de bataille,
balayée par une brise qui sentait le soufre et la charogne.
A l’intérieur de la grotte l’air était irrespirable. Faute de charbon, les fantassins tremblaient de froid
dans leur capote humide. De temps en temps des explosions de tirs d’obus jaillissaient en gerbe contre le
remblai transformant les hommes de garde dans leur tranchée en des statues d’argile. Nombreux avaient
retiré leurs masques. Depuis plusieurs jours déjà l’odeur des macchabées ne les faisait plus vomir.
Près de l'une des sorties abritée par une guitoune de fortune recouverte de rondins et de branchages
s’ouvrant sur une tranchée, au centre d’un rempart de camarades, quatre soldats étaient assis sur des
billes de bois, autour d'une caisse vide de munitions qui leur servait de table à leur jeu de cartes.
Conscients des risques qu'ils prenaient, fatalistes, endurcis par l'omniprésence de la mort, ils s'étaient
trouvé ce moyen pour stigmatiser leur angoisse.