Au port de Saint Nazaire
« Queen Mary 2 » sur cale sèche attend…
Ce n'est plus un bateau, c'est déjà Léviathan.
En ce temps du rosaire
Son cœur résonne encor des accords du soudeur
Qu'à peine nouveau-né il se veut commandeur.
Aux portes de l'estuaire
Le vaisseau immobile au lourd ventre d'acier
Repu, semble dormir et se laisse apprécier.
Ne dirait-on revoir, renfloué des enfers
L'orgueilleux Titanic ?
Sorti des profondeurs, la blanche Moby Dick
Par Achab mise aux fers ?
Heureux de l'admirer les joyeux Nazairiens
Autour de lui pullulent
Tels lilliputiens venus voir Gulliver.
En cet après midi d’un dimanche grésil
Avant qu’il ne s’en aille
Voguer sous d’autres cieux
Léa, Yves et Charlène avec tous leurs amis
Puérils et joyeux depuis l’embarcadère,
Pour se récompenser, leurs services accomplis,
Sont venu le saluer en caravansérail
Pour fêter ses adieux...
A l'homme trop souvent se prenant pour un Dieu
Poséidon exige un holocauste odieux :
- « A ce baptême offert,
Pour prix de cet orgueil, devoir mêler il faut
Au champagne le sang, à la gerbe la faux ! »
A l'heure du calvaire,
Quarante cinq d’entr’eux depuis la passerelle
Verront en un instant précipiter leur sort
Dans un gouffre d’enfer,
Dont seize franchissant le Léthé,
Hécatombe sans ailes,
Seront morts…
L’espace d’un éclair !
Non seulement content d’avoir été servi
Léviathan s’est repu de leurs vies !
Le port drapé d'un catafalque sur les toits
A pris le deuil :
Ses grues ont la forme de croix.
L’orage les bénit, et ses vents… « thurifèrent ».
Quand la Mer et la Mort ont même résonance
La feuille et le terreau sont sur même fréquence
Que l'orgueil et le suaire.

Au milieu de la nuit, de la cale aux martyrs
Sur fond de Golgotha, on entendra gémir
La voix de Saint Nazaire :
- « Pourquoi devoir payer de cette atrocité
Ce tribu de Babel à mon droit de cité ? »