L'Epave
D'une beauté fatale
Prodigue de malheur
La mer est sans rivale,
En ses secrets de cœur,
Se laissant courtiser
Par tout navigateur,
Mais consent l'épouser
Que si pour elle il meurt !
Un rouge crépuscule
Ensanglantait la plage,
Dans l'ombre qui bascule
J'ai guetté l'équipage
Parti dans le matin
Sur la cime des eaux
Accrocher son destin
Aux filets abyssaux.
Mais les jours sont malsains
Et bien souvent ils laissent
Dans leurs secrets desseins
De tragiques détresses !
J'ai longtemps attendu
Qu'enfin la mer se lasse
Et rende à son chalut
Le malouin qu'elle enlace.
Sur le Sillon du soir
Piqués en brise-lames,
Des spectres d'arbres noirs
Faisaient penser aux femmes
Qui bravent l'ouragan
Leurs bras au ciel tendus,
Priant Dieu dans le vent
Pour leurs maris perdus.
Comme un marsouin qui crève,
Poussé par la marée
Se mourait sur la grève
Une épave éventrée.
Elle semblait vomir
Dans un ultime effort
La bave du soupir
Qui précède la mort.
Les caresses de l'eau
Inexorablement
La poussaient au caveau
De son sable mouvant…
Demain rien ne sera
Qu'une larme du vent
Que la vague essuiera
Après l'enlisement.
- « Insensible Morgane
Qui retient enlacé
Dans ta senne océane
Ton amant trépassé !
Sa barque est de retour,
Et déjà te rejoint
Pour un dernier long cours,
Mais suivant quel chemin ?
Souffres-tu d'un remords
Au compte de mes frères
Echoués à la mort
Au fond de tes ossuaires,
Et vers quel mausolée
Aux secrètes raisons
Pousses-tu tes marées
A tant de déraisons ? »